mercredi 8 juin 2011

L'"e-learning" de luxe séduit les top-managers

Origine : article de Laurence Estival - publié le 23/05/2011 dans l'Expansion

Développées par des universités comme Harvard, les formations en ligne trouvent un nouveau public parmi les cadres dirigeants, et un nouvel essor via les réseaux sociaux d'entreprises.


Les business schools européennes parient sur le développement de l'e-learning haut de gamme. Reuters/Toby Melville

Sur la partie gauche de l'écran, Bhaskar Chakravorti, professeur à la Harvard Business School et responsable des pratiques innovantes chez McKinsey, prend la parole. Thème du jour : innovation et entrepreunariat après la crise économique.

Tirant profit de son expérience de consultant auprès d'entreprises des secteurs high-tech, de la santé et des énergies renouvelables, l'enseignant explique aux entreprises comment, à l'instar de DuPont, elles peuvent profiter de leurs difficultés nées de la crise pour repenser leur stratégie.

Au fil de son discours, la partie droite de l'écran s'anime avec des slides résumant les points saillants de son intervention. Une façon de suivre plus facilement le déroulé de l'exposé. Le cours dure près d'une heure. Il est facturé 125 dollars par la célèbre université américaine qui commercialise ces faculty seminars sous forme de CD dans le monde entier.

Une large palette de cours en CD ou sur le Net

Véritable "maison d'édition" pour de nombreuses business schools américaines, Harvard propose également, dans sa centaine de titres dématérialisés, des cours de professeurs d'établissements concurrents.

"Nous avons développé un campus virtuel dédié à la chaîne logistique." Nathalie Carletto, responsable de l'"e-learning" à L'Oréal.

Des CD à Internet en passant par les réseaux sociaux, l'e-learning s'inscrit sous de multiples formes dans l'offre des prestataires de la formation continue. La business school de l'université de Stanford, dont certains enseignants se sont prêtés au jeu des faculty seminars, mise surtout sur ses vidéos leadership in focus, accessibles aux entreprises ou aux particuliers depuis un site Web, moyennant une cotisation de 500 dollars par an.

Ici, ce ne sont plus les professeurs qui sont aux commandes mais des top managers, invités à partager leur expérience : ils expliquent en une dizaine de minutes les challenges auxquels ils ont été confrontés, et la manière dont ils les ont relevés.

De "La nécessité de dépasser les idées reçues" par Hank Vigil, directeur de la stratégie et des partenariats de Microsoft, à "La façon de motiver ses équipes réparties aux quatre coins du monde", par Alex Jensen, directrice marketing de BP, la palette de cours est large. On y apprend aussi à "Changer une organisation quand on n'est pas le chef", grâce à Marty Evans, amiral à l'US Navy. Au fil des conseils prodigués, les cadres sont accompagnés dans leur découverte par un teaching guide, qui aide à se poser les bonnes questions.

Après les Etats-Unis, l'Europe s'y met aussi

Les business schools américaines ne sont pas les seules à parier sur le développement du marché de l'e-learning haut de gamme. La majorité des établissements européens, de la London Business School à l'Essec en passant par HEC, s'y met aussi. Mais avec un objectif différent : il s'agit pour ces dernières de produits d'appel destinés à donner envie aux internautes de venir ensuite écouter les professeurs en chair et en os. Aujourd'hui, elles se contentent d'offrir aux visiteurs de leur site Web des interviews de leurs chercheurs vedettes sur un sujet d'actualité.

Seule une poignée d'écoles s'est lancée dans la production de véritables cours payants en ligne. Ainsi, l'Insead propose aux managers des séries de trois à six heures de cours donnés par les professeurs de l'institution pour acquérir les bases ou rafraîchir leurs connaissances dans une dizaine de disciplines, allant de la finance à la stratégie, pour un coût moyen de 300 euros par cours. Après s'être inscrits, les participants, munis de leur mot de passe, peuvent visionner les cours à volonté pendant quatre-vingt-dix jours. S'appuyant sur des études de cas et comportant des vidéos, ces modules permettent de faire régulièrement le point sur l'acquisition des nouvelles connaissances grâce à des tests d'autoévaluation en ligne.

"Les frontières entre formation en ligne et formation en présentiel tendent à s'estomper. L'e-learning devient un outil pédagogique parmi d'autres", remarque Philippe Gil, directeur de Demos eLearning Agency.

Cette tendance n'a pas échappé à l'IMD (International Institute for Management Development). Moyennant le versement d'une cotisation de 38 000 euros par an, l'école de Lausanne propose ainsi aux 130 entreprises membres de son club, dont font partie EDF ou Veolia, d'accéder gratuitement à sa centaine de teamcasts, régulièrement enrichis. "Des vidéos de dix minutes présentent une problématique - la motivation des salariés, l'innovation... - à partir d'un cas d'entreprise. Nos clients les utilisent pour lancer des formations internes destinées à leurs managers et à leurs équipes. Cela leur permet d'être immédiatement dans le bain", observe Paul Hunter, directeur du Corporate Learning Center de l'IMD.

Pouvoir échanger "en vrai" reste indispensable

Le cabinet Deloitte s'est également lancé dans l'e-learning. Il s'approvisionne régulièrement outre-Atlantique pour acheter des cours en ligne rendus accessibles à l'ensemble des collaborateurs depuis le portail formation maison. Au sein de cette bibliothèque virtuelle - une centaine de produits acquis auprès de la Harvard Business School : des essentiels du marketing à la gestion du stress en passant par l'intelligence émotionnelle ou le processus de décision -, ces cours en ligne côtoient des modules techniques dans lesquels Deloitte demande à ses experts maison de passer devant la caméra pour présenter leurs sujets de prédilection. Les normes comptables IFRS ont ainsi fait l'objet de nombreux modules.

"Les cours virtuels sont principalement utilisés par nos clients en complément des formations sur mesure que nous développons à leur demande, reconnaît toutefois Jill Huret, responsable du Learning Innovation Centre de l'Insead. Il est très difficile d'apprendre seul uniquement via ces supports. Pouvoir échanger ses idées et ses pratiques reste un passage obligé." Les entreprises l'ont bien compris.

Christophe Gaye, directeur formation chez Deloitte, émet une réserve : "Il y a un moment où le virtuel montre ses limites, notamment pour des enseignements, comme les cours de leadership, où il ne s'agit pas de transférer des connaissances techniques mais des savoir-faire comportementaux." Si les ressources en ligne du nec plus ultra des business schools accompagnent aujourd'hui leur formation, comme chez IBM ou Johnson & Johnson, clients de l'Insead, elles sont souvent couplées avec des cours traditionnels.

L'Oréal, parce que le "social learning" le vaut bien

La démarche du groupe L'Oréal en matière d'e-learning se veut ambitieuse et innovante. Une première expérimentation a été conduite par la direction de l'entreprise. "Nous avons développé un campus virtuel consacré à la chaîne logistique", explique Nathalie Carletto, responsable du service international de formation des opérations. Grâce à ce campus, les salariés peuvent accéder à de nombreux modules de formation technique en ligne.

Ont aussi été mis à leur disposition un forum, un espace blog, des contacts experts et un site Web participatif. "Nous avons eu rapidement 1 200 inscrits. Aujourd'hui, tous ces modules ont rejoint la plate-forme de formation du groupe où sont rassemblées toutes les offres de l'entreprise dont de l'e-learning sur les langues et le développement personnel." Par ailleurs, une communauté dédiée aux responsables de formation des usines L'Oréal a été créée sur le réseau interne du groupe. "Ils peuvent ainsi s'échanger les supports de formation développés localement, poursuit Nathalie Carletto, discuter de leurs approches et de leurs projets." Une manière d'améliorer la productivité de l'entreprise.

Généralement, les cours magistraux en ligne sont utilisés en amont d'une formation pour donner les bases théoriques aux participants ou faciliter les révisions. Pour leur part, l'échange, les études de cas ou les mises en situation interviennent lors des sessions en salle. "Les entreprises pour lesquelles nous concevons des programmes sur-mesure nous demandent souvent, à l'issue de ces formations, de développer rapidement, sous forme d'un module en ligne, un point qu'elles estiment ne pas avoir suffisamment été traité", précise Jill Huret. Par exemple, à la demande d'un de ses clients, l'établissement a développé un module baptisé "Les clients comme partenaires de l'innovation" à la fin d'une formation dédiée au marketing.

Créer du "networking" entre nouveaux recrutés

Certains tentent de pallier le manque de présentiel en favorisant l'interaction virtuelle. Une fois par semaine, les top managers des entreprises membres du club de l'IMD peuvent ainsi enrichir leurs connaissances via des "Webinars", des séminaires en ligne interactifs de trente minutes, où le conférencier du jour - dirigeant d'entreprise (Pamela Thomas-Graham, directrice des talents de la marque et de la communication et membre du comité exécutif du Crédit suisse, ou Damien O'Brien, président d'Egon Zehnder International), ou enseignant de la Business School (Sean Meehan, spécialiste de marketing, ou Rosa Chun, dont les travaux sont centrés sur la réputation managériale) - et les participants sont réunis dans une classe de cours virtuelle. Et pour tous ceux qui n'ont pu se libérer, la vidéo avec les questions de l'auditoire reste accessible depuis le site Web de l'établissement et émaille des formations en salle de cours.

"Notre réseau social interne favorise le partage des connaissances." David-Alexandre Gava, directeur emploi et formation de Siemens-France.

L'introduction de l'e-learning en formation se traduit également par le développement de serious games, ou de simulateurs, permettant de se former de manière ludique. Essentiel "pour donner envie aux salariés de suivre une formation", rappelait récemment Gilles Cochevelou, directeur formation, éducation, université du Groupe Total. Si ces "jeux sérieux" sont aujourd'hui principalement utilisés pour entraîner les commerciaux aux techniques de négociation, faciliter l'intégration des nouvelles recrues, améliorer la connaissance d'un secteur d'activité ou des consignes de sécurité, des produits de deuxième génération axés sur le management et le leadership devraient bientôt voir le jour.

De même, la montée en puissance des réseaux sociaux a un impact sur les formations. "L'émergence du social learning ouvre la voie à une coconstruction du savoir", note Sally Ann Moore, la directrice de l'iLearning Forum qui s'est tenu en février dernier à Paris. Ces nouvelles pratiques visent à utiliser, à des fins de formation, les réseaux sociaux internes, développés par les entreprises, organisés autour de communautés d'experts.

Des entreprises sont entrées dans la danse, parfois de manière timide, à l'instar de Siemens. "Les participants à une formation en face à face sont incités à approfondir leurs connaissances et à échanger sur la mise en pratique des connaissances acquises en formation en se réunissant au sein d'une communauté sur notre réseau social interne", détaille David-Alexandre Gava, directeur emploi et formation de Siemens-France. C'est notamment le cas des nouvelles recrues. A l'issue du programme d'intégration en ligne New@Siemens, elles disposent de leurs architectures et outils pour échanger sur une plate-forme électronique. "L'idée est de créer du networking entre salariés entrés dans le groupe à la même période." Un type de communautés "appelé à se développer", selon David-Alexandre Gava.

Des classes virtuelles échangent avec des experts

Ainsi est apparu le réseau Digital Reverse Mentoring, où les participants échangent des informations relatives à la culture et aux technologies numériques, ou le réseau E-commerce Operational Management, où la communauté des acteurs du commerce en ligne en partage les bonnes pratiques.

"Même si ces réseaux n'ont pas été mis en place dans un objectif de formation, ils y participent pleinement", constate Christophe Gaye, de Deloitte. Sur les réseaux communautaires de la société d'audit circulent de multiples documents. Certaines conférences vidéos d'experts internes sont ainsi postées à la demande de la communauté qui peut aussi demander l'ouverture d'une classe virtuelle pour discuter avec l'expert en question. Des wikis sur des sujets liés à l'activité de Deloitte sont également en train d'apparaître. L'échange d'information et d'expertise va-t-elle remplacer la formation traditionnelle ? Face à l'irrésistible ascension des réseaux sociaux, la question est posée.

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